Médicaments ou panacée

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    Les traitements ORL : Laisse moi zoom zoom zang dans tes oreilles bébé (Tanganil et Cérulyse)

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    Après avoir passé en revue les traitements du rhume, aujourd’hui on va s’intéresser à deux monuments de l’ORL franco-française : le Cérulyse et le Tanganil.

    Pour celles et ceux qui voudraient me dire que « si si, ça marche pour moi / mon cousin / ma tante / le chien du voisin », prenez un ticket et faites la queue, une expérience personnelle n’est PAS une vérité scientifique.

    Bernie Sanders meme : "i am once again asking que vous arrêtiez de prescrire des médicaments inutiles"

    CERULYSE :

    • Indications : extraction des bouchons de cérumen (il s’agit d’un solvant lipophile)
    • Composition : xylène (selon Wikipédia : un liquide incolore, d’odeur désagréable et très inflammable, naturellement présent dans le pétrole et le goudron de houille, et se forme durant les feux de forêts. Ça donne envie de s’en coller dans les oreilles hein ?), acétate d’alpha-tocophérol, huile essentielle de lavande, huile d’amande
    • EI : réactions locales type allergie ou irritation
    • Pas de générique ! (tiens donc)
    • Pas de SMR disponible
    • Non remboursé

    Qu’en dit la science ?

    • Méta-analyse Cochrane 2018 (ne concerne pas spécifiquement le Cerulyse mais intéressante tout de même) : un traitement local est mieux que rien (faible niveau de preuve), pas de supériorité d’un céruménolytique vis-à-vis d’un autre

    Alors qu’est-ce qu’on fait ?

    Un début de piste dans la Revue Prescrire de Septembre 2018 Tome 38 n°419, avec un article sur l’extraction d’un bouchon de cérumen. Il existe l’irrigation ou l’extraction instrumentale, aucune n’a démontré de supériorité. Des instillations préalables de sérum physiologique aident à ramollir le bouchon. Ce n’est indiqué qu’en cas de symptômes ou de nécessité d’examiner le tympan.


    TANGANIL (acetylleucine) :

    • Indications : traitement symptomatique de la crise vertigineuse chez l’adulte
    • EI : réactions d’hypersensibilité, choc anaphylactoïde et œdème laryngé, démangeaisons (parfois associés à du prurit), érythème, urticaire, douleurs abdominales
    • Service médical rendu : modéré

    Qu’en dit la science ?

    • Essai de 2007 sur 20 sujets sains : « L’acétylleucine n’a ni réduit les nausées associées au stimulus provocateur, ni accéléré l’acquisition ou le maintien de l’accoutumance vestibulaire du mal des transports et du nystagmus ». Bon, ça marche pas quoi.
    • Revue Prescrire Avril 2012 tome 32 n°342 p266 : « un quasi-placebo dans les vertiges »
    • Revue systématique de 2019 (je vous mets la conclusion tel quel, c’est assez savoureux) : « Il n’existe aucune preuve solide de l’efficacité de l’acétylleucine dans les vertiges(…). Compte tenu de sa prescription fréquente et du coût engendré pour le système Français de sécurité sociale, des essais randomisés de haute qualité devraient être réalisés pour évaluer son efficacité. » (aucun RCT versus placebo disponible, bizarre vous avez dit bizarre ?)

    Coût pour la collectivité en 2021 : 5 728 957€.

    Bon. Ca commence à en faire des sous jetés par la fenêtre… je dis ça je dis rien.

    A bientôt !

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    Revue de littérature des traitements du rhume : les sprays magiques

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    La revue sur le Spasfon ayant été un franc succès, je me suis dit qu’il serait intéressant de s’intéresser à d’autres médicaments dits « courants ». Aujourd’hui, on s’en va en guerre contre la sur-utilisation massive de sprays pour le nez et la croyance très populaire que ça va « faire guérir plus vite ».

    Pour commencer, histoire de se mettre dans l’ambiance, l’Académie de Médecine en 2020 a émis un rapport : « Aucun traitement du rhume de l’adulte n’a réellement fait preuve d’une grande efficacité. »

    Dans l’indication de la rhinite aiguë infectieuse, il existe une revue Cochrane de 2016 concernant les décongestionnants, avec 15 essais inclus soit 1838 participant-es : peu de preuves disponibles, un possible léger effet possible sur les symptômes subjectifs mais rien de solide.

    On va voir les sprays décongestionnant les plus connus, à commencer par el famoso Pivalone.

    PIVALONE (tixocortol pivalate) :

    « Une escroquerie en bande organisée », dixit vous-savez-qui.

    Meme : "tu veux prescrire du pivalone? Arrête"
    • Indications : rhinites allergiques, rhinites saisonnières, rhinites congestives aiguës et chroniques, rhinites vaso-motrices.
    • EI : épistaxis, sécheresse de la muqueuse nasale
    • Service médical rendu : modéré

    Qu’en dit la science ?

    • RCT datant de 1985 (nom de Zeus, Marty) qui comparait l’efficacité du Tixocortol et du beclomethasone dipropionate dans la rhinite allergique saisonnière pendant 14 jours : pas de différence entre les deux traitements qui semblent tous les deux améliorer le flux d’air des voies aériennes (bizarre ce critère de jugement) et 2/3 des patients ressentent une amélioration des symptômes
    • RCT datant de 1986 qui comparait l’efficacité de l’association Tixocortol/Néomycine et Néomycine seule dans la « sinusite chronique allergique et bactérienne » : efficacité supérieure de l’association tixocortol/néomycine… au bout de 11 jours ! (soit la durée moyenne d’un rhume, non?)
    • RCT datant de 1991 sur l’association Tixocortol/Néomycine versus placebo chez les enfants : supériorité de l’association tixocortol/néomycine… au bout de 7 jours ! (bis)
    • Prescrire, Juillet 2020, Tome 40 N° 441 : n’apporte rien

    Et c’est tout. Coût pour la collectivité en 2021 : 5 018 318€. Fin de la blague.

    C’est un peu mince et un peu daté vu le coût exorbitant, non ? Par contre, on retrouve des wagons d’études où il semble mis en cause dans la sensibilisation et/ou l’allergie de contact aux corticostéroïdes…


    On va passer aux décongestionnants qui contiennent un vasoconstricteur local, avec les risques connus (AVC et IDM pour ne citer que ceux-là).

    DERINOX (prednisolone + naphazoline) :

    • Indications : Traitement local de courte durée des états congestifs et inflammatoires au cours des rhinites aiguës de l’adulte et de l’enfant de plus de 15 ans
    • Composition : prednisolone + naphazoline
    • EI : les mêmes que ceux des corticoïdes avec un bonus sur le vasoconstricteur !
    • Service médical rendu : insuffisant !
    • Pas de générique disponible ! (oh oh oh!)
    • Non remboursé !

    Qu’en dit la science ?

    • Une RCT de 2005 évaluant le Derinox et Rhinofluimucil versus placebo dans le rhume : non infériorité du Derinox versus le Rhinofluimucil avec un critère de jugement principal étrange (diminution de la résistance au passage de l’air au niveau nasal), et en critères secondaires on ne retrouve aucune différence entre les 3 groupes sur l’obstruction nasale, l’amélioration des symptômes et la gêne globale (on ne conclut pas, mais voilà, c’est là quand même)
    • Prescrire, Mars 2020, Tome 40 N° 437 : à la poubelle !
    • Un avis de la commission de la transparence de la HAS en 2011 : rares mais possibles infarctus du myocarde, troubles du rythme, accident ischémiques transitoires, accidents vasculaires cérébraux ischémiques et hémorragies cérébrale

    Du coup, la balance bénéfice / risque ne semble pas très favorable pour un simple rhume…

    ATURGYL (chlorhydrate d’oxymétazoline) :

    • Indications : Traitement local de courte durée des états congestifs aigus au cours des rhinites et des sinusites de l’adulte et des adolescents de plus de 15 ans
    • Composition : oxymétazoline chlorhydrate
    • Service médical rendu : faible
    • Pas de générique disponible !

    Qu’en dit la science ?

    • Essai datant de 1999 sur 17 volontaires sains asymptomatiques (pas d’aveugle, pas de contrôle, pas de randomisation) : diminution de la résistance au passage de l’air au niveau nasal avec l’aturgyl
    • Prescrire, Mars 2020, Tome 40 N° 437 : à la poubelle !

    Coût pour la collectivité en 2021 : 305 566€

    RHINOFLUIMUCIL (acétylcystéine + benzalkonium + tuaminoheptane) :

    • Indications : Traitement local symptomatique de courte durée des affections rhinopharyngées avec sécrétion excessive de la muqueuse de l’adulte et des adolescents de plus de 15 ans
    • Composition : acétylcystéine + chlorure de benzalkonium + sulfate de tuaminoheptane
    • Service médical rendu : insuffisant
    • Pas de générique disponible !
    • Non remboursé

    Qu’en dit la science?

    • RCT de 1996 (décidément, je dépoussière des vieilleries) sur l’efficacité du Rhinofluimucil versus xylometazoline et placebo : diminution de la résistance au passage de l’air au niveau nasal (mais on ne nous dit rien sur les symptômes, encore une fois !)
    • On retrouve la RCT de 2005 dont on a déjà parlé avec le Dérinox
    • Prescrire, Mars 2020, Tome 40 N° 437 : à la poubelle !

    En bref :

    De manière globale donc, les sprays décongestionnant n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans la rhinite aigüe (avec parfois avec des EI graves à la clef). Il n’y a donc aucune raison de les prescrire.

    Concernant les corticoïdes par pulvérisation nasale, ils sont indiqués dans la rhinite allergique, ce sera le sujet d’un autre billet.

    Pour info, une revue Cochrane de 2015 a évalué l’efficacité des anti-histaminiques dans la rhinite aigüe : « efficaces » jusqu’au 2e jour mais pas sur l’obstruction nasale, la rhinorrhée ni les éternuements (bah?), puis après non.


    Alors Jamy, comment soulager nos patients qui ont la goutte au nez ?

    Gif bébé qui éternue

    LES LAVAGES DE NEZ (Cochrane 2015 avec faible niveau de preuve) ! Ici, plutôt team Rhinohorn©, mais il existe beaucoup d’autres dispositifs équivalents comme de simples poires. Ou alors, au bon vieux sérum physiologique.

    On rappelle qu’un rhume non guéri dure 7 jours, et qu’un rhume avec un traitement dure… une semaine.

    Si besoin, il existe l’ordonnance de non prescription réalisée par la sécurité sociale.

    Voilà, c’est tout pour cette fois-ci. En espérant avoir été utile !

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    Revue de littérature : Spasfon / Phloroglucinol, mon amour

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    Largement connu et utilisé à la fois par les médecins et par les patient·es, l’efficacité du Phloroglucinol (ou Spasfon pour les intimes) est pourtant très peu étudiée.

    Gif pikachu détective

    Si on fait le point sur ses indications :

    • Traitement symptomatique des douleurs liées aux troubles fonctionnels du tube digestif et des voies biliaires
    • Traitement des manifestations spasmodiques et douloureuses aiguës des voies urinaires : coliques néphrétiques
    • Traitement symptomatique des manifestations spasmodiques douloureuses en gynécologie
    • Traitement adjuvant des contractions au cours de la grossesse en association au repos

    Rien que ça. En lisant les petites lignes, on remarque que le service médical rendu est faible voire carrément insuffisant… Déjà là, on commence à avoir la puce à l’oreille.

    Du côté de la littérature scientifique : très peu de choses en fait (!).

    • Une revue systématique et méta-analyse d’essais randomisés dans la douleur abdominale : 3 RCT inclus, 2 ne montrent pas d’efficacité versus placebo, 1 seul montre un effet supérieur au placebo mais avec des biais aussi gros qu’un mammouth
    • Une revue systématique et méta-analyse d’essais randomises dans la douleur gynécologique ou obstétrique : seulement 2 essais d’origine chinoise inclus dont 1 indisponible, et aucune différence versus placebo
    • Une revue systématique de la littérature et méta-analyse des essais randomisés versus placebo sur l’efficacité clinique des antispasmodiques musculotropes sur la douleur abdominale réalisée en 2015 et publiée dans la revue Exercer en 2017 montrait une efficacité du Phloroglucinol dans le syndrome de l’intestin irritable (mais de forts risques de biais)
    • Une alerte de la Revue Prescrire en Février 2010 (tome 30, n°313, p114) rapportait des effets indésirables à type de réactions allergiques rares mais graves telles chocs anaphylactiques, œdèmes de Quincke et syndrome de Lyell, et concluait que ce « n’est pas un placebo : il ne fait peut-être pas de bien, mais il fait parfois du mal »

    Ah si, finalement on a trouvé quelque chose concernant l’efficacité de la forme injectable… pour enlever les tâche des Bétadine sur les blouses blanches !

    En examinant les données de remboursement de l’Assurance Maladie, on se rend compte que cette petite blague a quand même coûté la bagatelle de 13 515 710€ au contribuable en 2021.

    Comme me l’a dit l’un de mes professeur·es : « quand un médicament est utilisé pour trop d’indications différentes, méfiance« . On notera par ailleurs que le Phloroglucinol en comprimé fait partie de ces médicaments qui ne disposent d’aucun générique… JDCJDR. (Edit 19/01/23 : on me signale dans l’oreillette que des génériques existent pour la forme lyoc ! Vive la France)

    Meme "ah tiens voilà ouin-ouin"
    « Oui mais si on t’écoute, on peut plus rien prescrire »

    Alors en voiture Simone, quelles sont nos alternatives ?

    1. On arrête de faire passer des vessies pour des lanternes, on est honnêtes avec les patient·es sur le probable effet placebo et la balance B/R. Ce qui implique de prescrire les thérapeutiques adaptées en fonction du contexte clinique : chez les femmes jeunes avec des dysménorrhées, on préférera les AINS afin de les soulager efficacement. Idem dans la colique néphrétique, où les anti-spasmodiques sont moins efficaces que les AINS.
    2. Concernant les anti-spasmodiques dans le SII, toujours selon l’article d’Exercer : effet significatif sur le soulagement de la douleur pour l’alvérine, le pinavérium, et la trimébutine MAIS toujours des biais importants et des effets indésirables rares mais graves ont été recensés avec l’alvérine et la trimébutine, le pinaverium semble avoir l’efficacité la mieux validée (toujours sous réserve de biais élevés). En conclusion : « aucun des six antispasmodiques musculotropes disponibles en France ne peut être considéré comme ayant un haut niveau de preuve d’efficacité dans la douleur abdominale » (nous voilà bien avancés).
    3. Toujours pour le SII, une revue Cochrane de 2011 a montré une efficacité de l‘huile essentielle de menthe poivrée chez l’adulte (mais incertaine chez les enfant), confirmé par une autre méta-analyse en 2019 : la forme commerciale est le Colpermin (NR)

    Sinon, il reste toujours le sacro-saint Paracétamol, un indémodable.

    A bientôt pour de nouvelles aventures !

    Pour aller plus loin : article « Antispasmodiques dans les douleurs abdominales » de la Revue Prescrire en Mars 2020, tome 40, n°37, p195-202.