Littérature

Revue de littérature : AINS et infections, mythe ou réalité ? (actualisation)

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Bonjour ! Dans la lignée des revues de littérature, après l’ORL (ici et ), cet article va faire suite à la revue de littérature réalisée en 2014 par @Mimiryudo, disponible ici.

GTA 4 : "ah shit, here we go again"

Pour rappel, voici ce qui était décrit dans la littérature à l’époque :

Dans la littérature, nous trouvons des arguments plutôt contre la iatrogénie des AINS :
– Un comprimé unique d’AINS était bien toléré à 1 heure de la prise (4),
– Sur 17 effets indésirables liés aux AINS sur 461 dans la région de Calabre (Italie), aucun n’était infectieux (5),
– D’après une méta-analyse sur 17 études contrôlées versus placebo (1820 patients), il n’y a pas plus d’effets indésirables sous AINS que sous… placebo ! (6) (On reparlera un peu en-dessous de nombre de sujets nécessaires.) Une autre étude trouve la même chose sur 1069 participants (7).
Et nous trouvons aussi des arguments plutôt pour
– Sur 7 fasciites nécrosantes survenus entre 1983 et 1985, 5 ont évolué de façon fulminante, et étaient toutes les 5 sous AINS (8),
– 50 % de 8 patients présentant une cellulite étaient traités par AINS (9),
– 47 % de 17 patients ayant présenté une cellulite étaient sous AINS ou corticoïdes (et 88 % sous antibiotiques) (10),
– 47 % des 51 patients ayant une cellulite cutanée (pas forcément ORL) nécrotique « chirurgicale » étaient sous AINS contre 24 % des 45 patients ayant une cellulite « non chirurgicale » (p < 0,002) (11),
– 40 % des 130 patients présentant une fasciite nécrosante faciale étaient sous AINS, 27 % sous corticoïdes (ces derniers étaient associés à une extension médiastinale ; les AINS n’y étaient pas associés) (12),
– 52 % des 267 patients ayant présenté une cellulite dentaire à Lille entre le 30 avril et le 31 octobre 2006 étaient sous AINS. Il y avait plus de lymphangite sous AINS (8 vs 1, soit 5,7 % vs 0,8 %, p = 0,028), mais pas plus de diffusion cervicale ou temporale… – – Les patients sous AINS étaient également plus souvent sous antibiotiques que les autres (88 vs 54 soit 62,4% vs 42,8%, p = 0,001) (13)
– D’après l’étude du Pr. Reyt (dont je parlais ici), 65 % de 412 patients ayant présenté un abcès péri-amygdalien étaient sous AINS (et 39 % sous antibiotiques),
– La Revue Prescrire est également en faveur d’une éviction des AINS dans les infections ORL (14) : le contraire qui aurait été très surprenant.

La question est la suivante : quelles sont les nouvelles données disponibles dans la littérature depuis 2014 concernant le lien entre la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et l’aggravation de pathologies infectieuses ?

Sur le plan urinaire :

  • BMJ 2015 concernant la prise d’ibuprofène et les infections urinaires non compliquées chez la femme : plus de symptômes pénibles dans le groupe Ibuprofène et de durée plus longue versus le groupe Fosfomycine. A noter, des cas de pyélonéphrites (5/222 vs 1/224) mais non significatif (p=0,12)
  • BMJ 2017 non infériorité des AINS (Diclofenac) VS antibiotique (Norfloxacine) dans les infections urinaires non compliquées chez la femme : le Diclofenac est inférieur que ce soit en durée des symptômes (54% soulagées à J3 VS 80%) ou en sécurité avec plus de pyélonéphrites survenues (p=0,03)
  • PLOS Medicine 2018 non infériorité des AINS (Ibuprofène) VS antibiotique (Pivmecillinam) dans les infections urinaires non compliquées chez la femme : l’Ibuprofène est inférieur au niveau de la durée des symptômes, avec la survenue de pyélonéphrites (NNH = 26)
  • Clinical Microbiology and Infection 2019 qui évalue la prise d’extrait de Uva-Ursi (de l’homéopathie) et/ou d’Ibuprofène dans les infections urinaires non compliquées chez la femme : pas de différence avec un placebo en terme de durée de symptômes, pas de survenue de pyélonéphrites

Sur le plan ORL :

  • Annales françaises d’ORL et de pathologie cervico- faciale 2015 étude rétrospective sur 70 patients ayant présenté une cellulite cervico-faciale : la prise d’AINS a été retrouvée chez 80 % des patients, avec 2 cas d’atteinte médiastinale d’évolution fatale
  • Thèse de médecine 2017 étude épidémiologique sur les risques de phlegmon après une angine : 105 802 angines chez environ 68 000 patients ayant consulté pour une angine entre 1995 et 2010 ont été incluses dans l’analyse. 48 cas de phlegmons ont été recensés chez 47 patients dans les 15 jours suivant un diagnostic d’angine, soit 1 phlegmon pour 2 204 angines. Le risque de phlegmon a été plus grand chez les patients ayant reçu comme antalgique un AINS : la fréquence des phlegmons a été de 1 phlegmon pour 1 158 angines, avec un RR de 2,6 (IC95 : 1,4 à 4,5).
  • Annales françaises d’ORL et de pathologie cervico-faciale 2020 étude rétrospective sur l’Ibuprofène comme facteur de risque de complications des sinusites antérieures aiguës de l’enfant et de l’adolescent, portant sur 120 enfants : la fréquence des complications locorégionales infectieuses a été environ 5 fois plus grande chez les enfants exposés à l’ibuprofène que dans le groupe non exposé RR de 4,8 (IC95 : 1,8 à 12,9). La différence a surtout porté sur les complications intracrâniennes (RR = 2,8 ; IC95 : 1,1 à 7,2).
  • PAMJ 2022 étude rétrospective sur 109 cas de cellulites orbitaires en Tunisie : l’utilisation préalable d’AINS était associée avec des cellulites rétroseptales (p=0,014)
  • Prescrire novembre 2022, Premiers choix, Angine aiguë (Rev Prescrire 2023 ; 43 (471) : 57) : ils recommandent de limiter l’utilisation d’AINS en raison d’un risque d’aggravation des infections (c’était déjà le cas dans leur article en 2019 (Rev Prescrire 2019 ; 39 (431) : 688-690))
  • Journal Français d’Ophtalmologie 2022 étude rétrospective sur 168 cas sur la prise en charge de la cellulite péri-orbitaire aux urgences pédiatriques au Maroc : la prise préalable d’anti-inflammatoires non stéroïdiens a été notée dans 6 % des cas

Concernant la fièvre :

  • JAMA 2020 revue systématique et méta analyse (19 études incluses) du Paracétamol VS Ibuprofène dans le traitement à court terme des fièvres ou douleurs de l’enfant < 2 ans : la fièvre baisse plus rapidement et il y a moins de douleurs avec l’Ibuprofène, tout en gardant un profil de tolérance équivalent avec le paracétamol

Pharmacovigilance :

  • En 2016, suite à plusieurs alertes, l’ANSM a interrogé la base nationale française de pharmacovigilance. 547 observations ont été analysées : 340 adultes et enfants âgés de plus de 15 ans, et 207 enfants âgés de moins de 15 ans. Les AINS impliqués ont été l’ibuprofène (66 % des cas), le kétoprofène (17 %), et pour un moindre nombre de cas le diclofénac, l’acide niflumique, l’acide tiaprofénique, le flurbiprofène et le naproxène. 36 patients sont morts, dont 6 enfants, à la suite notamment d’un choc septique (16 cas), une fasciite nécrosante (5 cas), une cellulite ou une dermohypodermite (5 cas)
  • En 2019, l’ANSM a rappelé que les AINS exposent à des aggravations d’infections, y compris avec des durées de traitement courtes
  • En 2020, suite à une étude menée auprès des centres régionaux de pharmacovigilance de Tours et de Marseille sur l’ibuprofène et le kétoprofène, l’ANSM alerte : 337 cas de complications infectieuses avec l’ibuprofène et 49 cas avec le kétoprofène ont été retenus après avoir pris en compte uniquement les cas les plus graves chez des enfants ou des adultes (souvent jeunes) sans facteur de risque ni comorbidité. Il s’agit d’infections sévères de la peau et des tissus mous (dermohypodermites, fasciites nécrosantes,…), de sepsis, d’infections pleuro-pulmonaires (pneumonies compliquées d’abcès, de pleurésie), d’infections neurologiques (empyèmes, abcès cérébraux,…) ou ORL compliquées (cellulites, médiastinites,…), à l’origine d’hospitalisations, de séquelles voire de décès. Ces complications infectieuses (essentiellement à Streptocoque ou à Pneumocoque ) ont été observées après de très courtes durée de traitement (2 à 3 jours), y compris lorsque la prise d’AINS était associée à une antibiothérapie.

En conclusion : prudence ! Mais on attend toujours une étude prospective de forte puissance pour conclure de manière formelle…

A plus dans l’bus ! (oui c’est une expression de boomer, kestufaver?)

3 commentaires

  • Blanca

    Salut !
    Je suis interne en médecine générale. Merci pour ton travail, que je découvre aujourd’hui.
    Ton post m’intéresse spécialement car j’ai fait mon externat en Espagne et c’est en débarquant en France pour l’internat que j’ai découvert la grosse méfiance envers les AINS en contexte infectieux (en Espagne on met facilement des AINS pour les infections banales sans se poser de questions). Une amie interne qui a fait son externat en Allemagne me dit la même chose par rapport aux pratiques en Allemagne.
    J’ai 2 commentaires à faire:
    1/ Dans le paragraphe sur les infections urinaires, c’est quand même dérangeant d’utiliser des études où on compare un AINS à un antibiotique pour répondre à la question de s’il y a plus de complications infectieuses avec AINS, non?
    2/ Presque toutes les sources que tu utilises qui déconseillent l’utilisation d’AINS en contexte infectieux sont françaises (ANSM, annales ou journaux français), est-ce que tu as trouvé d’autres sources à l’international ?

    Je vais jeter un coup d’oeil à tes autres posts. Dans tous les cas, merci encore pour le boulot!

    Blanca

    • Doctotoscope

      Bonjour,
      1/ Oui c’est un peu étrange, je me contente de lister les études qui en parlent et ce sont les seuls trouvées. Ca permet d’évoquer les questions de tolérance et d’effets indésirables.
      2/ Tout ce que j’ai trouvé est dans l’article, je cherche toujours au niveau local et international en même temps !
      Merci pour ce retour 🙂

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